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Le calvaire de l’ancien cimetière de Larouillies



1. Un calvaire baladeur

2. Du calvaire au crucifix

3. Face à l’ouest

4. Pour aller plus loin






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1. Un calvaire baladeur


Le crucifix qui est situé actuellement près de l’église de Larouilles, sur l’emplacement de l’ancien cimetière, a été érigé en 1901 par la famille Thiébaux-Daniel.


Il était orienté face à l’est, au bord de la Route Nationale 2, sur un terrain appartenant à la ferme de la famille donataire.

Nous ignorons encore actuellement en quelle circonstances ce calvaire a été érigé : deuil cruel ? mission ?

Comme on peut le constater sur la carte postale ancienne ci-contre, il était élevé sur un socle monumental. La croix du Christ était surmontée de l’inscription INRI.

Trois statues de bronze reposaient sur le socle : elles représentaient les personnages bibliques : la Vierge Marie, sainte Marie de Magdala (Marie-Madeleine) et l’apôtre saint Jean, « le disciple que Jésus aimait ».

Une plaque de bronze fixée sur le socle rappelait le nom de la famille donataire et la date d’érection du calvaire.

Lors des fêtes religieuses, particulièrement celle du 15 août, le calvaire était le but des processions.
On ouvrait le portail de la grille pour y ménager un reposoir. Les fillettes, munies de corbeilles garnies de dentelles, lançaient des pétales de roses. On chantait, les fleurs embaumaient.


Las, les générations passèrent, et dans les années soixante, la ferme Thiébaux fut vendue à un anticlérical notoire qui décida de se débarrasser du monument, à la grande consternation des vendeurs qui ne s’attendaient pas à une telle avanie.


Paroisse et mairie furent prises au dépourvu : personne n’a pensé à invoquer un décret protecteur du Conseil d’
État, qui le 1e avril 1938 avait décidé qu’une croix fréquentée pour la procession de la Fête-Dieu est un lieu de culte public et qu’à ce titre, il doit être laissé à la disposition des fidèles et du clergé.


On prit contact avec une entreprise de travaux publics, et une grue déplaça le calvaire…

Non sans l’amputer…






2. Du calvaire au crucifix


Sur la photographie ci-dessous, on peut constater que, pour une raison non élucidée, le monument a été privé des trois statues de bronze qui s’affligeaient aux pieds de la croix.

Nous ignorons ce que ces statues sont devenues, personne ne semble s’en souvenir…

Leur absence a pour résultat que le calvaire a perdu son nom : on distingue en effet les
croix (sans le Christ), les crucifix (avec le Christ sur la croix) et les calvaires (avec le Christ et les personnages bibliques).

Plus curieusement, le crucifix a été orienté plein Sud, ce qui est absolument inattendu…

Dans la panique du déménagement, personne n’a pensé à la symbolique chrétienne traditionnelle et nul curé, à notre connaissance, ne protesta…

Constatons cependant que la plaque où figure le nom de la famille Thiébaux et la date de l’érection du monument avait été préservée.

Hélas, notre crucifix allait encore être déplacé…





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La précieuse plaque qui indiquait la date d’érection et l’identité des donataires, pourtant restaurée, a disparu dans le second déménagement.


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3. Face à l’ouest


En 2007, après
la destruction de l’ancien cimetière, il fut décidé par la même municipalité, décidément fort iconoclaste, de déplacer encore une fois ce malheureux calvaire devenu crucifix !

Cette fois, il opéra encore un quart de tour, comme
le coq du monument aux morts, et se retrouva face à l’Occident, ce qui change du tout au tout sa portée symbolique. Nous y reviendrons ci-dessous.

Dans le déménagement, il a également perdu sa plaque. Peut-être a-t-on pensé qu’elle n’était plus d’actualité ? Qu’il nous soit permis de le déplorer.

On peut s’interroger longtemps sur l’intérêt de ces mutilations successives…


Retrouvons ici modestement le souvenir de la famille, généreuse envers sa communauté, qui a érigé ce crucifix. C’est un peu de la mémoire du village qui apparaît encore ici, malgré les vicissitudes du temps et l’ignorance des hommes. Gardons la curiosité du passé et le désir de retrouver nos racines.


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Origine des calvaires

Le mot « calvaire » vient du latin calvarium, traduction de l’araméen « Golgotha », voulant dire : « Lieu du crâne » : c’est le nom du lieu où le Christ a été crucifié. Le calvaire, comme son nom l’indique, est une représentation de la Passion du Christ, c’est-à-dire de son supplice et de sa mort sur une croix de bois.


Histoire

Dans l’Antiquité, la crucifixion était un châtiment d’infamie réservé aux esclaves, aux voleurs, aux criminels. C’était un supplice particulièrement cruel car les condamnés mouraient asphyxiés après de longues heures d’agonie. Ils étaient exposés aux lieux de passage, sur un gibet qui portait le motif du châtiment. Ils étaient l’objet d’insultes, de sévices, de la part de la foule. À l’origine du christianisme, la crucifixion, supplice romain, était un sujet de haine et de moqueries.

Pour ces raisons, l’église primitive n’utilisait pas la croix comme signe de ralliement. On utilisait d’autres symboles pour désigner le Christ : le poisson (
ichtus), ou les lettres alpha et oméga, première et dernière de l’alphabet grec : « Je suis l'Alpha et l'Oméga, le Premier et le Dernier, le Principe et la Fin ». (Apocalypse 22, 13).

Cependant, dans d’autres civilisations antiques, la croix n’avait pas qu’un sens expiatoire et infamant : chez les Égyptiens, la croix ansée signifie le salut dans l’autre vie. Elle est à la fois le symbole et le hiéroglyphe du mot « vie ».

Au VIe siècle la croix apparaît devant les lieux de culte chrétiens et à la fin de ce siècle la figure du Christ en croix est présente avec des vêtements — tunique ou ceinture, jamais nu — les bras plus ou moins élevés ou horizontaux (le Christ des Jansénistes sera figuré les bras levés au XVIIe siècle). Le positionnement des jambes varie également. Le Christ est représenté vivant ou mort (XIIe siècle).

Les premières croix sont érigées au VIIe siècle en Irlande. Au Moyen-Âge, des croix en pierre ou en métal sont placées au sommet des édifices religieux. D’après Viollet-le-Duc certaines croix étaient surmontées d’un auvent de bois quand le Christ était représenté sur la croix (crucifix). Aucune ne nous est parvenue intacte.

À partir du XIe siècle, des croix sont élevées à l’entrée des villes et des villages, à la croisée des chemins, sur les places, dans les cimetières. Les croix et les calvaires prendront une nette importance aux XVe et XVIe siècles. L’expansion se poursuivra jusqu’à la Révolution qui en détruisit beaucoup. Au XIXe siècle, le retour de la pratique religieuse en érigera de nouveau un grand nombre.
La croix a tenu au cours des siècles une place symbolique, historique et artistique très importante dans la vie des populations. Elle a participé intimement à la vie des communes et des individus.


Bornes et lieux de mémoire

Les croix de chemin étaient implantées souvent à l’emplacement d’un ancien culte païen pour en effacer les pratiques.
Certaines croix limitaient les communes, les seigneuries. Leurs abords étaient considérés comme des lieux sacrés inviolables, comme les églises.

Le calvaire est également un
lieu de mémoire. Il rappelle la plupart du temps un événement survenu à l’endroit où il a été érigé : mort violente (accident, assassinat, duel) Il peut rappeler les épidémies, ou au contraire être un témoignage de reconnaissance pour des populations préservées d’un fléau — inondation, sécheresse, incendie.

Le calvaire peut témoigner du passage d’un saint ou d’un événement religieux (mission).
Les croix ont été, au cours des siècles, des jalons pour les processions à l’occasion de nombreuses fêtes religieuses jusqu’au milieu du XXe siècle : Rameaux, Rogations, Fête-Dieu, 15 août, Toussaint, et fêtes patronales.

Les croix étaient aussi placées sur la route des grands pèlerinages (Saint Jacques de Compostelle), et elles sont la dernière station du défunt au cimetière (voir notre page sur la croix du nouveau cimetière).


Architecture symbolique des calvaires

Les plus anciens calvaires comportent le plus couramment un socle formant souvent deux ou trois marches, un autel parallélépipédique et une colonne surmontée d’un crucifix.
En coupe, le schéma est le suivant :

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On observe un passage de la forme carrée (nombre 4, qui symbolise la Terre, le monde matériel) à la forme en cercle (le Ciel, la perfection, au Centre du Monde) en passant par l’intermédiaire qui est l’octogone. La colonne représentant l’« Axe du Monde » ou Axis Mundi, qui passe par le Centre du Monde symbolisé par le crucifix. Ces notions de Centre et d’Axe du Monde sont à la base de tout symbolisme chez les bâtisseurs et artistes anciens. L’Axe du Monde est celui par qui le monde fut créé ou manifesté. Il est de nature divine, car placé avec la dimension supplémentaire de la verticalité par rapport à l’horizontalité.

La colonne, dans son sens de lien entre Terre et Ciel est, en certains cas, la pierre sacrificielle.
C’est à son sommet, dans sa partie céleste, qu’est sacrifié l’Agneau de Dieu. En fait, sont réunis là les quatre symboles fondamentaux : le carré, le cercle, le centre et la croix.
Ce symbole de verticalité, faut-il le faire remarquer, trouve tout simplement son pendant dans les menhirs druidiques (païens). D’ailleurs il est significatif de remarquer que lors de la christianisation aux Vème et VIe siècles de nos campagnes, tous les monuments païens et druidiques furent certainement abattus, et sur leur emplacement on construisit des églises… et des calvaires.


Un Catéchisme en bois ou en fer forgé

Les calvaires avaient souvent un rôle instructeur auprès du peuple car on pouvait les décorer d’objets ou de saints personnages. C’est ainsi le cas des instruments de la Passion que l’on retrouve bien souvent dans certaines régions (le Queyras par exemple) ou sur les calvaires en fer forgé du XIXe siècle qui permettent de représenter des objets plus facilement que des personnages.

Il arrive de rencontrer des calvaires qui ne présentent pas moins de dix-neuf instruments de la Passion gravés sur la pierre : la pince, la couronne d’épines, le marteau, la tunique pourpre, l’échelle, la pointe de la lance, la lanterne, les trente deniers d’argent, la colonne, la corde, la bourse, les trois clous, le fouet, le flagellum, le seau, les dés, le coq, l’éponge…

De tous les personnages présents sur les calvaires, on remarquera d’abord les quatre évangélistes, toujours représentés par leur symbole.
Ainsi Luc est le taureau, Marc est le lion, Jean est l’aigle et Matthieu est l’homme ailé ou ange.


Orientation symbolique des calvaires


C’est dans l’orientation des calvaires que lit leur signification. Immanquablement, ils sont tous dans l’axe est/ouest (du moins les plus anciens, ceux qui étaient installés en pensant à leur unité symbolique). Ainsi d’abord la tradition paraît unanime pour dire que la Croix du supplice a été plantée hors des murs de Jérusalem – précisément devant le rempart d’Ézéchias – non face à la ville mais lui tournant le dos, c’est-à-dire (la ville s’étendant approximativement à l’ouest) face à l’Occident.
Enfin cette orientation tient aussi au fait que l’Est est le lieu où le soleil se lève, c’est le lieu du « nouveau soleil » (
neos helios en grec) qui donna aussi son nom à la fête de Noël à l’époque du solstice d’hiver. On voit donc souvent sur une face de la croix une représentation de la Vierge tenant dans ses bras l’Enfant Jésus. Cette image lorsqu’elle existe est toujours tournée vers l’Orient.
Si le calvaire représente le Christ sur la croix souffrant la Passion, s’il s’agit de sa mort, il est alors orienté vers l’Occident, qui est le lieu où le soleil se couche, la frontière symbolique d'où s'étend le monde des ténèbres. Il faut remarquer ici que nous rencontrons surtout cette répartition sur les vieux calvaires à « double face » montrant d’un côté la Vierge à l’Enfant et de l’autre le Christ mort.

La grande majorité des calvaires est orientée avec le Christ vers l’est. On oriente ainsi Jésus crucifié vers le soleil renaissant
. Il s’agit d’une autre interprétation symbolique : celle de la résurrection. Nous avons remarqué que depuis un siècle, le choix était d’orienter ainsi les calvaires car ils représentent alors l’espoir. Cela nous rappelle que Jésus est le « Sol Invictus », le Soleil Invaincu.

Il y a donc un message dans les calvaires, même s’il est ténu, et l’on voit que même l’orientation peut amener à deux sens de compréhension opposés.

On comprend la logique de la représentation avec l’alignement solsticial Est/Ouest. Ce symbole, nous le retrouvons dans toutes les civilisations car il semble universel. Ainsi il est représenté chez les Gréco-Latins par les deux faces de Janus, qui donna son nom au mois de janvier qui inaugure la naissance du cycle solaire… Après la christianisation des païens, on transforma la tradition des deux faces de Janus par les fêtes des Saint-Jean d’hiver (27 décembre) et Saint-Jean d’été (24 juin). On remarquera le rapprochement entre les noms de Janus et Jean.


Le calvaire-crucifix de Larouillies, qui a opéré un virage à 180°, a donc désormais une portée symbolique opposée à celle qu’il possédait primitivement.


La perte des personnages

La disparition des personnages aux pieds de la croix n’est pas anodine, elle non plus.
Marie est un des rares personnages bibliques à avoir assisté à la crucifixion du Christ, avec Jean, Marie-Madeleine, Marie, mère de Jacques le Mineur et de José, et Marie-Salomé.
Le personnage de prédilection des calvaires, à part le Christ, est la Vierge Marie.
Ce culte envers les Vierges s’explique par la notion de douceur féminine, de protection maternelle qui s’oppose à l’aspect morbide de Jésus mort sur la croix. C’est cette même tendance qui a fait orienter récemment les calvaires vers l’est, en symbole de résurrection. Le peuple ne veut plus souffrir, il veut être protégé.


Conclusion

Aucun monument n’est érigé pour des baptêmes ou des mariages, et ceux construits en action de grâce pour remercier Dieu sont exceptionnels. Les croix sont surtout liées à la mort, les fondateurs cherchant à assurer le repos de leur âme en obtenant une prière des passants. En outre, de multiples croix rappellent des morts violentes (voir notre page sur les croix mémorielles de Larouillies). Ce sont celles dont on ne peut expliquer la présence symbolique le long d’une route par exemple. Les crimes crapuleux fournissent l’occasion d’ériger de nombreux monuments. Les malades décédés loin de chez eux sont aussi honorés de cette manière. Les incendies ou les décès provoqués par la foudre frappent les imaginations, des croix matérialisent le souvenir de ces tragiques accidents interprétés comme le déchaînement de forces surnaturelles. Marquer le lieu, c’est vouloir éviter le renouvellement du drame.


Le calvaire de Larouillies orienté vers l’est en 1901, avec la présence des saintes femmes et de Jean, était un symbole d’espoir et de résurrection.

Désormais orienté vers l’ouest, dans sa nouvelle austérité, il est signe de Passion, de souffrance et de mort.
Heureusement, le crucifix du nouveau cimetière porte un sens plus positif et plus protecteur dans son orientation plein ouest. Mais il ne comporte aucun personnage au pied de la croix.


Bibliographie
J.F. Devalière, architecte DPLG,
Note d’information générale sur les croix de chemin.
Chevallier et Greerbrandt,
Dictionnaire des symboles, Collection Bouquins des éditions Robert Laffont/Jupiter, 1982.
Philippe MARTIN, Les Chemins du Sacré, Édition Serpenoise, 1995.