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Honoré de Balzac, Histoire de la grandeur et de la décadence de César Birotteau

Extrait :

- La Spéculation, dit le parfumeur, quel est ce commerce? — C’est le commerce abstrait, reprit Claparon, un commerce qui restera secret pendant une dizaine d’années encore, au dire du grand Nucingen, le Napoléon de la finance, et par lequel un homme embrasse les totalités des chiffres, écrème les revenus avant qu’ils n’existent, une conception gigantesque, une façon de mettre l’espérance en coupes réglées, enfin une nouvelle Cabale! Nous ne sommes encore que dix ou douze têtes initées aux secrets cabalisques de ces magnifiques combinaisons.

BALZAC : extrait de la biographie

1834: le Père Goriot. 1835: conception des « Études philosophiques ». César Birotteau devait d’abord être une de ces « Études », portant sur les ravages du désir de s’agrandir. C’est devenu rapidement une « scène de la vie parisienne » avec l’accent mis sur l’analyse des mécanismes financiers (crédit). 1836: création de la revue Chronique de Paris. 1837: Illusions perdues; la Vieille Fille; César Birotteau

C’est en 1831 qu’Honoré de Balzac (1799-1850) eut l’idée de l’Histoire de la grandeur et de la décadence de César Birotteau. Mais, doutant de l’attrait qu’il pourrait exercer sur le public, il fit longtemps traîner la mise en chantier du roman: « J’ai conservé César Birotteau pendant six ans, en désespérant de pouvoir intéresser qui que ce soit à la figure d’un boutiquier assez bête, assez médiocre, dont les infortunes sont vulgaires et symbolisent ce dont nous nous moquons beaucoup: le petit commerce parisien. » Cependant, en 1837, le journal Le Figaro, qui souhaitait offrir un volume de roman à ses abonnés, commanda une œuvre inédite à Balzac pour la somme, énorme à l’époque, de vingt mille francs. Celui-ci, qui venait de connaître des déboires financiers, sauta sur l’aubaine et reprit son projet. Il acheva en dix-sept jours un roman dont il n’avait encore rédigé que le premier tiers.

Encyclopædia Universalis

Date de parution : 1837

Principaux événements

En littérature : Ch. Dickens, les Aventures de Monsieur Pickwick; Oliver Twist; V. Hugo, les Voix intérieures; A. de Musset, la Nuit d'octobre.

En musique : H. Berlioz, Requiem.

En peinture : J. Constable, Arudel Mill.

En politique : monarchie de Juillet en France ; Victoria devient reine d'Angleterre; troubles au Canada; le Michigan devient un État des États-Unis ; massacres au Natal.

Sciences et techniques : première carte exacte de la lune (Beer et Mädler) ; débuts de la météorologie ; première ligne télégraphique (Wheatstone et Cooke) ; développement du télégraphe aux Etats-Unis (Morse).

Le personnage principal

Né en 1779 dans un milieu fort modeste, César est mis en apprentissage à Paris. Déjà ambitieux et intelligent, il ne se complaît pas dans des tâches subalternes, mais devient commis, rachetant en 1800, à 21 ans, la boutique de son patron, Ragon, parfumeur de la reine. Son esprit inventif lui fait trouver des lotions et des cosmétiques qu'il lance à grand renfort de publicité. Il épouse Constance, une jeune vendeuse fidèle et dévouée, a une fille qu'il éduque dans la tradition bourgeoise.
Son frère François est le héros-victime du roman
Le Curé de Tours.


RÉSUMÉ DE L'INTRIGUE

L'action se passe de 1818 à 1823. En 1818, le parfumeur César Birotteau, alors au sommet de sa carrière, décide de donner un bal pour fêter sa Légion d'honneur et la libération du pays. Légitimiste, adjoint au maire du 2e arrondissement de Paris, il est parvenu à cette enviable situation par le travail et l'honnêteté.

Saisi par la folie des grandeurs, il veut se lancer dans le grand commerce et embellir son magasin. Le notaire Roguin lui propose une spéculation immobilière dont l'instigateur est Du Tillet, un ancien commis des Birotteau, qui leur avait jadis volé de l'argent.
Endetté par l'achat des terrains, harcelé par les créanciers, César est anéanti par la fuite de Roguin. Du Tillet s'acharne à le ruiner et les banquiers ne lui prêtent plus d'argent. Le jour de sa faillite, Popineau, un ancien commis, demande la main de Césarine, qui se marie sans amour, après le paiement de toutes les dettes. En trois ans de labeur acharné, Birotteau est réhabilité : il meurt à ce moment même.

ANALYSE


César Birotteau est un « type » littéraire
: le commerçant honnête, ruiné par des arrivistes sans scrupule, et qui connaît les affres de la dette (mal que Balzac connaissait bien…).
Cependant, son honnêteté est toute relative
: il fait fortune grâce à des produits à l’efficacité douteuse et dupe sa clientèle.
Épris de considération, il échoue par naïveté.
Plus qu’une leçon de morale, le roman fait l’amer constat des ravages de l’argent-roi. Césarine le comprend bien, qui épouse un homme laid mais habile commerçant
: son mariage est un marché.

Le roman est intéressant par son aspect documentaire
: le commerce, les débuts de la publicité par prospectus, la spéculation sur les terrains de La Madeleine, le droit sous la Restauration.

Le rôle de la banque, incapable de s’adapter à la modernité économique, sera décrit par Balzac dans
La Maison Nucingen « histoire jumelle » de celle-ci.


PERSPECTIVES

• On pourrait intégrer la lecture de César Birotteau dans une thématique: la peinture de la bourgeoisie et de ses travers. Même folie des grandeurs chez le Bourgeois gentilhomme.

• On pourrait l’intégrer à une étude des réalités sociales de la « 
Comédie humaine »

• L’âge du personnage en 1818 et l’âge de Balzac publiant le roman sont les mêmes (39 ans). Il y a plus qu’une coïncidence
: il est presque certain que Balzac avait décidé d’exorciser un de ses démons.

• La très grande présence physique du parfumeur, la peinture détaillée du Paris de Halles et du négoce, les conflits qui ne manquent pas de s’engendrer autour des questions d’argent indiquent que Balzac est encore ou déjà dans la période « physiologique » de son inspiration, celle où la société est une jungle, les être ayant une obsession se faisant broyer à moins qu’eux-mêmes ne broient.
Si certains, les « lions », réussissent, parce qu’ils ont pour eux la jeunesse et la beauté, les autres, les monomaniaques de l’argent (Grandet), de la paternité (Goriot), voire de la beauté (Pons et Schmucke) ne tiennent pas longtemps.

• Dans le cas de Birotteau, le problème est complexe
: il ne s’agit pas d’un roman d’apprentissage comme les Illusions perdues, mais d’un roman de l’âge mûr, de l’histoire d’un père de famille. C’est un homme sage dans l’ensemble de sa vie mais qui est guidé par une utopie.
Toute sa part de rêve s’est réfugiée dans l’idée d’un capitalisme « linéaire » pour ainsi dire, soit un capitalisme qui se développerait indéfiniment selon les schémas du réinvestissement.
Or, la logique du capitalisme échappe à ce schéma
: l’argent devient, au passage, par le circuit où il s’insère forcément, le moteur de tout et l’objet désiré de tous. Il n’aurait dû être qu’un outil au service de l’invention, du bien-être. Il devient aimé pour lui-même par les forces sociales qui le manipulent. Un financier (voir la Maison Nucingen) peut-il être autre chose qu’un pirate? (question toujours d’actualité!)
Mais en même temps, on voit bien le déchirement de Balzac
: la vertu (presque au sens où l’entendait Montesquieu) est tout entière du côté de Birotteau, mais l’avenir est tout entier du côté de ses financiers, qui vont chercher l’argent où il se trouve, et le font sortir de la thésaurisation familiale.
C’est la France vive (avec son côté hideux) contre la France morte, celle de la petite épargne.

• Par ailleurs, le contexte social du livre n’est pas indifférent. Nous sommes à l’époque de Charton, le saint-simonien qui a fondé le
Magasin pittoresque (1833), l’Illustration (1843) et le Tour du monde (1860). Bourgeois éclairé, préoccupé de l’éducation des masses, il écrivit un Guide pour le choix d’une carrière où il oppose la monarchie de Juillet et l’Ancien Régime sur ce point. Il faut, selon lui, chercher « des métiers qui conduisent à l’aisance plus qu’à la richesse, à l’estime plus qu’à l’admiration, à l’accroissement de l’intelligence et de la moralité plus qu’à la satisfaction des passions ». Birotteau, s’il tient d’un modèle réel, le parfumeur Bully, inventeur du vinaigre de toilette et mort ruiné après les journées de juillet 1830, tient aussi du modèle de Charton.


PISTES PÉDAGOGIQUES


Exposés

• M. Jourdain (Le Bourgeois gentilhomme), Chrysale (les Femmes Savantes) et Birotteau: structures d’une famille bourgeoise; problèmes du mariage.

• Les personnages du roman.

• La chronologie du roman (1818-1823).

• Le langage des dialogues dans le roman
: les registres de langue typent très précisément chaque personnage, même secondaire (faire des relevés des mots et des tournures indiquant la classe sociale).

• Balzac et Birotteau.

• La femme et le mariage chez Balzac.

• L’ambition chez Balzac, Stendhal, Zola.

• Les connotations en publicité, d’après les deux textes de la
Pâte des Sultanes et de l’Eau carminative (chercher le sens de ce mot…).


Dossiers

• Le Paris de la Restauration dans le roman.

• Balzac inventeur de la publicité
? Comparer avec Au Bonheur des dames, de Zola.

• Une initiation au monde de la finance (relevez des mots comme
: escompte, aval, hypothèque, etc., et les expliquer).

• La physiologie balzacienne. Portraits physiques et notations morales.

• La classe bourgeoise sous la monarchie de Juillet et le saint-simonisme balzacien.

• La société préindustrielle vue par Balzac.



Lectures complémentaires


• D’autres romans balzaciens assez voisins: Illusions perdues; la Maison Nucingen; la Maison du chat qui pelote.

• Enfin sur le thème de l’argent et du capitalisme: L’Argent de Zola.


Bibliographie

P. Barbéris, Balzac, une mythologie réaliste, Larousse, Thèmes et Textes, 1971.

P. Bertaut,
Balzac, Hatier, Connaissances des lettres 19, 1968.

M. Butor,
Répertoire I, II, III, Ed Minuit, 1960, 1964, 1968 ; Improvisations sur Balzac, La Différence 1998.

P. Cuénat,
L’œuvre de Balzac, Hachette, classiques France, 1955.

J.H. Donnard,
Les réalités économiques et sociales dans la « Comédie Humaine », Armand Colin 1961.

G. Genette,
Figures II, Le Seuil, 1969.

R. Guise,
Balzac, 2 vol., Hatier, Thema anthologie, 1972.

G. Lukacs,
Balzac et le réalisme français, trad. P. Laveau, Maspero, 1967.

F. Marceau, Balzac et son monde, Gallimard, 1955.

G. Picon,
Balzac, Le Seuil, Écrivains de toujours 33, 1956.

Saint Paulien,
Napoléon Balzac, Albin Michel, 1979.

G. de Zélicourt,
Le monde de la « Comédie Humaine », Seghers, 1979.


Filmographie

Outre l’adaptation télévisée (1980): CÉSAR BIROTTEAU par A. Fratelli, 1921 (Italie).