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Le discours rapporté 1

Discours direct, discours indirect


Observation

La terrine de poulet


En 1870, sous l’occupation prussienne, la diligence Rouen-Dieppe emporte des « gredins honnêtes » et Boule de Suif, une prostituée qu’ils méprisent.

Mais Loiseau dévorait des yeux la terrine de poulet. Il dit :
« À la bonne heure, madame a eu plus de précaution que nous. Il y a des personnes qui savent toujours penser à tout. » Elle leva la tête vers lui : « Si vous en désirez, monsieur ? C’est dur de jeûner depuis le matin. » Il salua : « Ma foi, franchement, je ne refuse pas, je n’en peux plus. À la guerre comme à la guerre, n’est-ce pas, madame ? » Et, jetant un regard circulaire, il ajouta : « Dans des moments comme celui-ci, on est bien aise de trouver des gens qui vous obligent. » Il avait un journal, qu’il étendit pour ne point tacher son pantalon, et sur la pointe d’un couteau toujours logé dans sa poche, il enleva une cuisse toute vernie de gelée, la dépeça des dents, puis la mâcha avec une satisfaction si évidente qu’il y eut dans la voiture un grand soupir de détresse.
Mais Boule de Suif, d’une voix humble et douce, proposa aux bonnes sœurs de
partager sa collation. Elles acceptèrent toutes les deux instantanément et, sans lever les yeux, se mirent à manger très vite après avoir balbutié des remerciements. Cornudet ne refusa pas non plus les offres de sa voisine, et l’on forma avec les religieuses une sorte de table en développant des journaux sur les genoux.
Les bouches s’ouvraient et se fermaient sans cesse, avalaient, mastiquaient, engloutissaient férocement. Loiseau, dans son coin, travaillait dur et, à voix basse, il engageait sa femme à l’imiter. Elle résista longtemps, puis, après une crispation qui lui parcourut les entrailles, elle céda. Alors son mari, arrondissant sa phrase, demanda à leur « charmante compagne »
si elle lui permettait d’offrir un petit morceau à Mme Loiseau. Elle dit : « Mais oui, certainement, monsieur », avec un sourire aimable, et tendit la terrine.

Guy de Maupassant, Boule de Suif



Questions

1. Le narrateur est-il présent grammaticalement dans le texte ?

2. Quels personnages sont en présence ? Lesquels dialoguent ?

3. Comment le narrateur rapporte-t-il les paroles échangées par les personnages dans le premier paragraphe ? Quels verbes introduisent les paroles ? Quelle ponctuation est employée ?

4. Quelle conversation s’établit dans le second paragraphe ? Comment les paroles échangées sont-elles rapportées ? Quels verbes introduisent les paroles ?

5. Quels verbes résument des paroles ?

6. Reconstituez les paroles qui ont pu être prononcées à la place des groupes de mots en
bleu. Donnez plusieurs possibilités.


Leçon

1. Le discours rapporté : deux situations de communication distinctes

• Tout récit, réel ou de fiction, est produit dans une situation de communication qui met en jeu un émetteur
E, (ou narrateur), et un récepteur R (narrataire ou lecteur) :



• Dans un récit, des phrases exprimant des paroles ou des pensées de personnages peuvent être insérées dans la narration de base. On parle alors de discours rapporté.
Ce type de message fait état de deux situations de communication distinctes :
E > R : discours premier
e > r : discours inséré (rapporté).




Il y a donc :
— deux émetteurs, celui qui a prononcé les paroles (émetteur e), et celui qui les rapporte (l’émetteur ou narrateur E) ;
— deux récepteurs : celui à qui sont destinées les paroles rapportées (récepteur r) et celui à qui l’émetteur ou narrateur E s’adresse (récepteur R) ;
— deux situations d’espace et de temps : le lieu et le moment où les paroles ont été prononcées, et le lieu et le moment de la narration :
Ex. :
La diligence Rouen-Dieppe en 1870, là où le dialogue a été échangé
Le lieu et le moment de l’écriture, quand le narrateur s’adresse au narrataire ou au lecteur


2. Définitions

Lorsque, dans un récit, le narrateur veut reproduire les paroles prononcées par des interlocuteurs, il devra choisir entre différentes représentations du discours de ses personnages :
— soit qu’il
rapporte les paroles comme si les interlocuteurs étaient présents, en insérant les paroles rapportées dans la première situation de communication : ici, maintenant ; les paroles rapportées semblent être des paroles réelle = discours direct.
Ex. :
Elle leva la tête vers lui : « Si vous en désirez, monsieur ? C’est dur de jeûner depuis le matin. »

— soit qu’il
transpose les paroles en les enchâssant dans son récit ; les paroles ainsi rapportées sont adaptées pour s’insérer dans le récit = discours indirect.
Ex. :
Son mari, demanda à leur charmante compagne si elle lui permettait d’offrir un petit morceau à Mme Loiseau.


3. Le discours rapporté : le discours direct

• l’émetteur

Le discours direct permet de rapporter, dans un récit, les paroles prononcées par un émetteur, telles qu’elles ont été (ou auraient pu) être prononcées. L’émetteur de ces paroles peut être distinct du narrateur du récit.
Ex. :
Il ajouta : « Dans des moments comme celui-ci, on est bien aise de trouver des gens qui vous obligent. »
Dans un récit à la première personne, le narrateur peut se mettre en scène directement en rapportant ses propres paroles : le récit et le discours rapporté ont alors le même émetteur.
Ex. :
Alors j’ai dit à Daniel : « La saison de chasse est terminée, il est inutile d’aller manifester ».

• Procédés grammaticaux

Les paroles rapportées au discours direct possèdent plusieurs caractéristiques :
— ce sont une ou plusieurs phrases grammaticalement indépendantes de l’ensemble du récit, sans marque de subordination
Ex. :
Il salua : « Ma foi, je ne refuse pas, je n’en peux plus ».

— les pronoms personnels et les possessifs se rapportent aux interlocuteurs du discours direct; les marques d’énonciation appartiennent au système du discours : je-tu, ici, maintenant,
[Loiseau] dit : « Madame a eu plus de précaution que nous. […] Ma foi, franchement, je ne refuse pas, je n’en peux plus. »
Je = Loiseau ; Madame = Boule de Suif

— les temps de conjugaison situent l’énoncé par rapport au moment de l’énonciation rapportée.
récit : passé simple
discours direct : présent de l’indicatif

— un verbe introducteur déclaratif :
dire, crier, s’exclamer,… indique généralement le discours direct. Ce verbe peut se situer avant ou après le passage en discours direct, il peut être inséré sous forme de phrase incise, avec inversion du sujet (dit-elle) ; il peut également être implicite : « Elle leva la tête vers lui »


• Signes de ponctuation

À l’écrit, le discours rapporté se caractérise par :
— deux points (: ) qui précèdent les paroles rapportées,
— des guillemets : «… » qui les encadrent,
— un tiret (— ) marque le changement d’émetteur dans un dialogue, avec un passage à la ligne.
— dans les journaux, une mise en italiques.


• Contenu du discours direct

Le discours direct peut contenir toutes sortes d’énoncés : des actes de langage («Je te promets »), des ordres («Reviens vite »), des questions : « Puis-je offrir un morceau à Mme Loiseau ? », des interjections, des phrases incomplètes, incorrectes, des phrases en langue étrangère, des mots d’argot, de patois, des prononciations particulières.
Rapporter un discours direct est une sorte d’opération de
citation.
Les paroles citées peuvent être transcrites telles que le narrateur les a entendues, ou plus ou moins reconstituées, sans qu’il soit possible au lecteur de le savoir de façon certaine.


3. Le discours transposé

Le discours indirect

Dans un récit, le discours indirect permet au narrateur de transposer, les paroles émises par un personnage en les intégrant à la narration.




Il y a également :
— deux émetteurs, celui qui a prononcé les paroles (émetteur e), et celui qui les rapporte (le narrateur ou l’émetteur E) ;
— deux récepteurs : celui à qui sont destinées les paroles (récepteur r) et celui à qui le narrateur s’adresse (récepteur R ou lecteur, auditeur) ;
— deux situations d’espace et de temps : le lieu et le moment où les paroles ont été prononcées, et le lieu et le moment de la narration :
Ex. :
La diligence Rouen-Dieppe en 1870, où le dialogue a été échangé
Le lieu et le moment de l’écriture où le narrateur s’adresse au narrataire ou au lecteur


• l’émetteur

La seconde situation de communication n’est qu’évoquée : toutes ses marques (personnages, lieu, temps) sont traduites selon les repères de la narration et se rapportent aux mêmes personnes E et R tout au long de passage :
Ex. :
Elle leva la tête vers lui et lui demanda s’il voulait partager son repas car elle se rendait compte qu’il était dur de jeûner depuis le début du voyage.




• Procédés grammaticaux

Les paroles transposées en discours indirect sont :

— présentées dans une subordonnée complément du verbe introduite par la conjonction de subordination
que, et des mots interrogatifs comme si, comment, quand, qui, où.
Ex. : L’homme a demandé à la jeune femme où elle allait.

— présentées dans un groupe infinitif introduit par de
Ex.
La jeune femme a promis aux passagers de partager toutes ses provisions.


• verbe introducteur

Le verbe introducteur renseigne sur l’acte de langage qui est mis en œuvre dans le discours indirect, ainsi que sur le ton des paroles prononcées. Il peut être :
• un verbe déclaratif :
dire, expliquer, raconter, affirmer,…
• un verbe d’interrogation :
demander…
• un verbe indiquant un ordre :
ordonner, prier…

• contenu du discours transposé

Le discours indirect ne peut pas contenir les mêmes variétés d’énoncé que le discours direct. Il ne peut contenir ni questions directes, ni ordres, ni exclamations, ni phrases incomplètes ou incorrectes. Les paroles sont reformulées en fonction de la situation en cours.


• Passage du discours direct au discours indirect

Le passage du discours direct au discours indirect peut se faire quand on résume un texte, ou quand l’émetteur E assume la responsabilité des paroles prononcées. Il faut opérer une véritable traduction :
— les pronoms personnels et les déterminants possessifs passent généralement de la première et deuxième personnes (je-tu) à la troisième personne (il) sauf s’il y a identité entre l’émetteur rapporte des paroles qui le concernent lui-même ou concernent le groupe dont il fait partie :
Ex. :
Elle a proposé : « Nous mangerons cette terrine de poulet »/ Elle a proposé qu’ils mangent…
mais aussi :
Ex. :
Elle a proposé : « Nous irons au cinéma ce soir »/ elle a proposé que nous allions au cinéma ce soir-là.
On garde la 2e personne si le narrateur rapporte des paroles qui concernent celui ou ceux à qui il les rapporte :
Ex. :
Elle a proposé que vous alliez au cinéma.

— le mot mis en apostrophe au discours direct est transposé et devient complément du verbe déclaratif :
Ex. :
Boule de Suif, d’une voix humble et douce, proposa aux bonnes sœurs de partager sa collation.

— les marqueurs de lieu et de temps : ce jour-là, la veille,… là-bas,… remplacent les marques d’énonciation de discours : ici, maintenant, hier.

— pour exprimer un ordre, le mode impératif est remplacé par le subjonctif, ou plus souvent par l’infinitif ; les autres modes ne subissent pas de changement.
Ex.:
Dis-lui de venir.

— les temps de conjugaison s’accordent à ceux des phrases enchâssantes :

• si le discours enchâssant est au présent ou au futur, aucun changement n’a lieu quant à l’emploi des temps :




• si le discours enchâssant est au passé, le discours indirect emploie, conformément à la concordance des temps :
— l’imparfait pour marquer la simultanéité
— le conditionnel présent ou passé pour marquer la postériorité
— le plus-que-parfait pour marquer l’antériorité :




Pour l’expression écrite

Pour attribuer à quelqu’un des paroles dont on lui laisse la responsabilité, plusieurs moyens s’offrent au narrateur :

1. citer les paroles au discours direct, avec des guillemets :
Ex. :
Le P.D.G. a déclaré : « Nous réduisons les salaires de 5 % pour passer aux 35 heures hebdomadaires ».

2. utiliser, autant au discours direct qu’au discours indirect , un verbe introducteur qui marque la distance ou tout autre modalisation
Ex. :
soutenir, prétendre, alléguer, avancer, prétexter, revendiquer, arguer, etc.


Résumé :

On appelle discours rapporté l’insertion, dans un texte, d’énoncés qui proviennent d’une autre situation de communication. Deux situations de communication sont ainsi mises en rapport :
— la situation en cours, qui est celle du texte de base : émetteur E, récepteur R ;

— la situation rapportée, qui est celle de l’énoncé rapporté: émetteur e, récepteur r.

Le discours rapporté direct permet de citer un message relevant d’une autre situation de communication, ou du moins de le présenter comme une citation. Le message est présenté avec une ponctuation spécifique. Il contient des pronoms, des marques d’énonciation qui correspondent à sa propre situation d’énonciation.

Le discours rapporté indirect oblige à reformuler l’énoncé rapporté. Les paroles rapportées sont introduites par un mot subordonnant qui les relie au verbe principal. Les pronoms personnels et les marques d’énonciation sont ceux de l’ensemble du texte de base.

Leçon publiée dans Grammaire et expression 3e Nathan