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Les deux « questionnaires » de Marcel Proust





On parle le plus souvent « du » questionnaire de Proust.

En réalité, il existe DEUX « questionnaires de Proust » bien connus, dont le premier a été écrit sur le carnet anglais d’Antoinette Faure, l’une des filles du président Félix Faure, qui jouait, enfant, avec le petit Marcel.

Cet album fut retrouvé par André Berge, un des fils d’Antoinette Faure, qui publia pour la première fois en 1924 les pages remplies par Marcel Proust.

André Berge rapporte que certaines pages comportent des dates qui s’échelonnent entre 1884 et 1887. Marcel a donc treize ou quatorze ans (né en 1871, pendant la Commune…)

André Berge, « Autour d’une trouvaille »,
Cahiers du Mois, n°7, 1er décembre 1924, pp. 5-18.

Le titre du second : « Marcel Proust par lui-même » est de la main de Marcel Proust. Proust a dû répondre à ce questionnaire à l’époque de son volontariat à l’armée, ou quelque temps après. (Volontariat effectué du 15 novembre 1889 au 14 novembre 1890).

Voici les deux questionnaires. Les proustiens se régalent à les comparer. Il faut bien prendre en compte les dates et les circonstances de la rédaction.




Le premier, celui de l’album anglais d’Antoinette Faure:

Confessions.

An Album to Record Thoughts, Feelings, & c.

Your favourite virtue. — Toutes celles qui ne sont pas particulières à une secte, les universelles.

Your favourite qualities in a man. — L’intelligence, le sens moral.

Your favourite qualities in a woman. — La douceur, le naturel, l’intelligence.

Your favourite occupation. — La lecture, la rêverie, les vers, l’histoire, le théâtre.

Your chief characteristic. -

Your idea of happiness. — Vivre près de tous ceux que j’aime avec les charmes de la nature, une quantité de livres et de partitions, et pas loin un théâtre français.

Your idea of misery. — Être séparé de maman.

Your favourite colour and flower. — Je les aime toutes, et pour les fleurs, je ne sais pas.

If not yourself, who would you be
? — N’ayant pas à me poser la question, je préfère ne pas la résoudre. J’aurais cependant bien aimé être Pline le jeune.

Where would you like to live
? — Au pays de l’idéal, ou plutôt de mon idéal.

Your favourite prose authors. — George Sand, Aug. Thierry.

Your favourite poets. — Musset.

Your favourite painters and composers. — Meissonnier, Mozart, Gounod.

Your favourite heroes in real life. — Un milieu entre Socrate, Périclès, Mahomet, Musset, Pline le Jeune, Aug. Thierry.

Your favourite heroines in real life. — Une femme de génie ayant l’existence d’une femme ordinaire.

Your favourite heroes in fiction. — Les héros romanesques poétiques, ceux qui sont un idéal plutôt qu’un modèle.

Your favourite heroines in fiction. — Celles qui sont plus que des femmes sans sortir de leur sexe, tout ce qui est tendre poétique, pur, beau dans tous les genres.

Your favourite food and drink. -

Your favourite names. -

Your pet aversion. — Les gens qui ne sentent pas ce qui est bien, qui ignorent les douceurs de l’affection.

What characters in history do you most dislike. -

What is your present state of mind. -

For what fault have you most toleration
? — Pour la vie privée des génies.

Your favourite motto. — Une qui ne peut pas se résumer parce que sa plus simple expression est ce qu'[il y] a de beau, de bon, de grand dans la nature.


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Le second: Marcel Proust par lui-même



Le principal trait de mon caractère. — Le besoin d’être aimé et, pour préciser, le besoin d’être caressé et gâté bien plus que le besoin d’être admiré.

La qualité que je désire chez un homme. — Des charmes féminins.

La qualité que je désire chez une femme. — Des vertus d’homme et la franchise dans la camaraderie.

Ce que j’apprécie le plus chez mes amis. — D’être tendre pour moi, si leur personne est assez exquise pour donner un grand prix à leur tendresse.

Mon principal défaut. — Ne pas savoir, ne pas pouvoir « vouloir ».

Mon occupation préférée. — Aimer.

Mon rêve de bonheur. — J’ai peur qu’il ne soit pas assez élevé, je n’ose pas le dire, j’ai peur de le détruire en le disant.

Quel serait mon plus grand malheur. — ne pas avoir connu ma mère ni ma grand-mère.

Ce que je voudrais être. — Moi, comme les gens que j’admire me voudraient.

Le pays où je désirerais vivre. — Celui où certaines choses que je voudrais se réaliseraient comme par un enchantement et où les tendresses seraient toujours partagées.

La couleur que je préfère. — La beauté n’est pas dans les couleurs, mais dans leur harmonie.

La fleur que j’aime. — La sienne- et après, toutes.

L’oiseau que je préfère. — L’hirondelle.

Mes auteurs favoris en prose. — Aujourd’hui Anatole France et Pierre Loti.

Mes poètes préférés. — Baudelaire et Alfred de Vigny.

Mes héros dans la fiction. — Hamlet.

Mes héroïnes favorites dans la fiction. — Bérénice.

Mes compositeurs préférés. — Beethoven, Wagner, Schumann.

Peintres favoris. — Léonard de Vinci, Rembrandt.

Héros dans la vie réelle. — M. Darlu, M. Boutroux. (
deux de ses professeurs)

Mes héroïnes dans l’histoire. — Cléopâtre.

Mes noms favoris. — Je n’en ai qu’un à la fois.

Ce que je déteste par-dessus tout. — Ce qu’il y a de mal en moi.

Caractères historiques que je méprise le plus. — Je ne suis pas assez instruit.

Le fait militaire que j’admire le plus. — Mon volontariat
!

La réforme que j’estime le plus. -

Le don de la nature que je voudrais avoir. — La volonté, et des séductions.

Comment j’aimerais mourir. — Meilleur — et aimé.

État présent de mon esprit. — L’ennui d’avoir pensé à moi pour répondre à toutes ces questions.

Fautes qui m’inspirent le plus d’indulgence. — Celles que je comprends.

Ma devise. — J’aurais trop peur qu’elle ne me porte malheur.