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Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais (1732-1793) : biographie

pierre augustin caron
Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais naquit à Paris, en 1732, d'une famille obscure : il était fils d'un horloger et avait lui-même commencé à apprendre ce métier ; tout jeune encore, il perfectionna le mécanisme de la montre par une nouvelle espèce d'échappement; l'invention lui fut contestée par un horloger célèbre ; il y eut procès et le jeune Caron eut gain de cause.

 
Mais Beaumarchais avait trop d'ambition et trop d'esprit pour se décider à passer sa vie dans la boutique de son père. Il avait un remarquable talent musical, et jouait de plusieurs instruments, surtout de la harpe ; ce talent d'agrément lui ouvrit l'entrée du grand monde et même de la cour, où il fut introduit en donnant des leçons de guitare à Mesdames de France. Il acquit bientôt leur faveur et leur confiance, au point de faire des jaloux et des envieux. Pour l'humilier, on lui rappelait parfois sa naissance ; mais Caron était trop spirituel pour être à court de reparties. Un jour, un courtisan le voyant passer avec un très bel habit dans !a galerie de Versailles, s'approcha de lui : « Ah ! M. de Beaumarchais, je vous rencontre à propos, lui dit-il ; ma montre est dérangée, faites-moi le plaisir d'y donner un coup d’œil ― Volontiers, répond Beaumarchais ; mais je vous préviens que j'ai toujours eu la main maladroite. » On insiste ; il prend la montre et la laisse tomber. « Ah ! monsieur, je vous demande mille excuses, s'écrie-t-il, mais je vous l'avais bien dit, et c'est vous qui l'avez voulu » ; et il s'éloigna, laissant fort déconcerté celui qui avait cru l'humilier.
 
Devenu un personnage, Beaumarchais se lança dans les spéculations et fit une fortune considérable. À l'époque de la révolution d'Amérique, il eut l'idée d'approvisionner les Américains insurgés, et fit partir trois vaisseaux chargés de munitions de guerre ; deux arrivèrent, et cette vente suffit pour l'enrichir.
 
La richesse s'ajoutant aux honneurs augmenta la jalousie de ses ennemis ; des bruits infâmes coururent sur l'origine de sa fortune : il s'était marié trois fois ; on l'accusa d'avoir empoisonné ses deux premières femmes pour hériter de leurs biens. Beaumarchais poursuivit ses accusateurs devant le Parlement et devant les tribunaux ; mais comme ils étaient puissants et influents, il en appela en même temps à l'opinion publique. Il publia dans ce but une série de
Mémoires qui sont de vrais chefs-d’œuvre d'éloquence et qui auraient suffi à faire sa réputation littéraire. Ces Mémoires produisirent une sensation européenne ; le parlement fut bafoué et couvert de ridicule. Ce livre, étincelant de verve satirique, n'a pas peu contribué à discréditer la monarchie et les anciennes institutions, et à précipiter la Révolution française. « J'ai lu tous les Mémoires de Beaumarchais, écrit Voltaire, et je ne me suis jamais tant amusé. Ces Mémoires sont ce que j'ai jamais vu de plus singulier, de plus fort, de plus hardi, de plus comique, de plus intéressant, de plus humiliant pour des adversaires. Il se bat contre dix ou douze personnes à la fois, et les terrasse comme Arlequin terrasse une escouade du guet. »
 
Le succès de ces
Mémoires révéla à Beaumarchais son talent pour la comédie. Après avoir gagné son procès, il poursuivit ses adversaires jusque sur les planches et livra la magistrature à la risée publique en donnant deux chefs-d’œuvre, Le Barbier de Séville (1775) et Le Mariage de Figaro (1784). Ces deux comédies, qui souffletaient la noblesse et tout ce qu'on avait entouré jusque-là de respect, furent applaudies avec enthousiasme. Un tel succès était un grave symptôme ; il annonçait la chute de la société actuelle et était le prélude d'une révolution sociale.
 
Beaumarchais éprouva beaucoup de difficulté à faire représenter
le Mariage de Figaro, à cause de ses attaques contre l'ordre établi. Louis XVI déclara que cette pièce ne serait pas jouée.

Voici comment Mme Campan, lectrice de la reine, raconte les impressions du roi :
« Je reçus un matin un billet de la reine, qui m'ordonnait d'être chez elle à trois heures et de ne pas venir sans avoir dîné, car elle me garderait fort longtemps. Lorsque j'arrivai dans le cabinet intérieur de Sa Majesté, je la trouvai seule avec le roi. Un siège et une table étaient déjà placés en face d'eux, et sur la table était posé un énorme manuscrit, en plusieurs cahiers. Le roi me dit : « C’est la comédie de Beaumarchais ; il faut que vous nous la lisiez. Il y aura des endroits bien difficiles, à cause des ratures et des renvois ; je l’ai déjà parcourue, mais je veux que la reine connaisse cet ouvrage. Vous ne parlerez à personne de la lecture que vous allez faire. » Je commençai : le roi m'interrompit par des exclamations toujours justes, soit pour louer, soit pour blâmer. Le plus souvent, il s'écriait : « C’est de mauvais goût : cet homme ramène continuellement sur la scène l'habitude des
concetti italiens. » Au monologue de Figaro, mais surtout à la tirade des prisons d'État, le roi se leva avec vivacité et lui dit : « C'est détestable ! cela ne sera jamais joué ; il faudrait détruire la Bastille pour que la représentation de cette pièce ne fut pas une inconséquence dangereuse. Cet homme joue tout ce qu'il faut respecter dans un gouvernement. ― On ne la jouera donc pas ? dit la reine. – Non certainement, vous pouvez en être sûre, dit Louis XVI. » Vaine protestation qui fut bientôt démentie. »
 
Après ce refus, on fit courir et on répéta à satiété contre le roi un mot piquant du monologue de la pièce : « Il n'y a que les petits hommes qui aient peur des petits écrits. » Au bout de quatre ans d'attente, la comédie fut représentée au milieu des applaudissements frénétiques d'une foule immense. Cette pièce, jouée pondant dix ans, rapporta à l'auteur plus de quatre-vingt mille francs.
 
Beaumarchais faillit être victime de la Révolution dont il avait été le prophète et l’apôtre. Nommé membre provisoire de la Commune de Paris, il se ruina presque en voulant fournir d'armes les troupes de la République. Sous la Terreur, il comparut, comme aristocrate, devant le tribunal révolutionnaire, n’échappa à l'échafaud qu'en se tenant caché quelque temps. Il mourut peu d'années après, au retour de Napoléon.
 
[Source : Daniel Bonnefon, 
Les Écrivains célèbres de la France, Librairie Fischbacher, 1895]