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Michel de Montaigne (1533-1392)


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Michel de Montaigne naquit, en 1533, au château de ce nom, près de Bordeaux, d'une famille ancienne, mais point illustre. Son père, quoique noble, fit tenir son fils sur les fonts de baptême par des personnes de basse condition, et le fit élever dans un pauvre village. « Il voulait par là, nous dit Montaigne lui-même, me former à une vie frugale et austère : son but était de me rallier le peuple et cette condition d'hommes qui a besoin de notre aide ; il estimait que je fusse tenu de regarder plutôt vers celui qui me tend les bras que vers celui qui me tourne le dos. » Montaigne nous a raconté quel soin excessif son père prit de son éducation dès le berceau. Pour ne pas l'arracher brusquement au sommeil, il le faisait réveiller doucement au son d'un instrument. Au lieu de commencer par lui apprendre le français, il le fit passer des mains de sa nourrice dans celles d'un Allemand qui ne lui parlait que latin : en sorte que « il avait plus de six ans avant qu'il entendît un mot de français ; et sans art, sans livre, sans grammaire ou précepte, sans fouet et sans larmes, il avait appris du latin tout aussi pur que son maître d'école le savait. »

À vingt et un ans, Montaigne fut nommé conseiller au parlement de Bordeaux ; s'il eût été ambitieux, il eût pu arriver aux plus grands honneurs ; mais « les affaires publiques n'étoient pas de son gibier, » dit-il. Pendant qu'il était conseiller à Bordeaux, il se lia d'une tendre amitié avec un autre conseiller de la cour, nommé Étienne de La Boëtie. Ce jeune magistrat, qui mourut à l'âge de trente-deux ans, avait composé, dès l'âge de seize ans, un Traité de la Servitude volontaire, qui lui avait acquis une grande réputation de savoir. Montaigne a immortalisé son nom par les belles pages qu'il a écrites sur l'amitié qui les unissait. « Si on me presse de dire pourquoi je l'aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu'en répondant : Parce que c'était lui, parce que c'était moi. — Nous nous cherchions avant que de nous être vus ; nous nous embrassions par nos noms ; et à notre première rencontre, qui fut par hasard en une grande fête et compagnie de ville, nous nous trouvâmes si connus, si obligés entre nous, que rien dès lors ne nous fut si proche que l'un à l'autre. »

On devine combien un cœur si tendre dut souffrir des malheurs de son temps. Il eut la douleur d'être témoin des massacres de la Saint-Barthélémy (1572), des fureurs de la Ligue, des exécrables atrocités commises dans les guerres de religion. Il fut envoyé aux États généraux de Blois, à l'époque où le duc et le cardinal de Guise furent assassinés par Henri III.
Le cœur rempli de dégoût, il préféra dès lors à tous les honneurs une vie paisible ; il se retira dans son manoir et contempla de là, en philosophe, les événements qui s'accomplissaient autour de lui. Là, auprès de sa femme et de sa fille, il se livra à la culture des lettres. Quelques amis lui conseillèrent d'écrire l'histoire de son temps. « 
L'histoire est dure à écrire, dit-il et surtout l'histoire contemporaine. D'ailleurs, en fait d'ouvrage, j'ai l'haleine courte, et une narration étendue n'est point mon fait. J'aime mieux me faire historien au petit pied. Je me retire et me renfonce en moi-même, je raconte mes pensées et mes sentiments, devisant sur l'homme qui est un sujet ondoyant et divers. Voilà l'histoire telle que je me la suis faite, taillée à ma mesure, n'ayant ni chronologie, ni date, ni patrie. » Cette histoire, ce sont ses confessions, auxquelles il donna le nom d'Essais.

Dans ce livre, Montaigne a voulu, avant tout, peindre l'homme en se peignant lui-même. Il y ajoute des réflexions personnelles qu'il émaille d'un grand nombre de citations grecques et latines ; ces citations rendent la lecture du livre un peu fatigante. La narration n'est point suivie, l'auteur commence un chapitre sur un sujet, mais bientôt il abandonne son idée, et le chapitre se termine sur un sujet tout à fait différent.
Il parle de tout à propos de lui, et de lui à propos de tout ; il se pose mille questions, les résout à sa manière, sans donner toutefois sa solution pour la meilleure, et peut-être, un peu plus loin, la résoudra-t-il tout autrement. Aussi Balzac a-t-il dit de lui, avec raison : « 
Montaigne sait bien ce qu'il dit, mais il ne sait pas ce qu'il va dire. » Du reste, dans ce désordre, il y a tant d'esprit, de science, de profondeur, depensées ingénieuses et justes, qu'on est heureux de le suivre partout où il va ; il parle si agréablement, qu'on regrette de le quitter ; c'est le causeur le plus instruit, le plus spirituel qu'on puisse rencontrer.

De même que Rabelais, Montaigne attaqua les travers de son époque : les superstitions de l'Église, les mœurs désordonnées des moines, les injustices judiciaires, telles que la torture, l'inquisition, etc. « 
Combien j'ai vu de condamnations, dit-il quelque part, plus criminelles que le crime ! » En philosophie, il entreprit le premier d'observer les phénomènes naturels, et il n'admit comme vrai que ce dont il s'était assuré par sa raison ou par son expérience personnelle : il préparait ainsi l'œuvre de Descartes. En religion, il se montra fort circonspect et n'attaqua aucune doctrine ; on dirait qu'il ne sait rien en cette matière, ou qu'il doute de tout. Sa devise était : Que sais-je ?
Dans les questions controversées, il se borne à rapporter le pour et le contre, mais il donne rarement son opinion.


D’après Daniel Bonnefon, Les écrivains célèbres de la France, ou Histoire de la littérature française depuis l'origine de la langue jusqu'au XIXe siècle (7e éd.), 1895, Paris, Librairie Fischbacher.